« Qui, alors ? » demanda Igraine dès qu’elle eut fini de lire le premier feuillet de ma dernière pile de parchemins. Elle avait appris un peu de saxon durant ces derniers mois et tirait grande fierté de cet exploit, bien qu’en vérité ce fût une langue barbare beaucoup moins subtile que le breton.

« Qui ça ? demandai-je à mon tour.

— Quelle fut la femme qui mena la Bretagne à sa destruction ? Nimue, n’est-ce pas ?

— Si tu m’accordes le temps d’écrire cette histoire, chère Dame, tu le découvriras.

— Je savais que tu me dirais cela. J’ignore même pourquoi j’ai posé la question. » Elle était assise sur le large rebord de ma fenêtre, une main posée sur son gros ventre, la tête penchée de côté comme si elle écoutait. Au bout d’un moment, une expression de ravissement espiègle éclaira son visage. « Le bébé me donne des coups de pied, dit-elle, tu veux le sentir ? »

Je frissonnai. « Non.

— Pourquoi non ?

— Les bébés ne m’ont jamais intéressé. »

Elle me fit une grimace. « Tu aimeras le mien, Derfel.

— Vraiment ?

— Il va être mignon !

— Comment sais-tu que c’est un garçon ?

— Aucune fille ne donnerait d’aussi forts coups de pied, voilà pourquoi. Regarde ! » Ma reine tira sa robe bleue sur son ventre et rit lorsque le dôme lisse ondula. « Parle-moi d’Argante, dit-elle en laissant retomber la robe.

— Petite, brune, mince, jolie. »

Igraine fit la grimace devant l’insuffisance de ma description. « Était-elle intelligente ? »

Je réfléchis à cela. « Elle était rusée, ça oui, et avait une sorte d’intelligence, mais qu’aucune instruction n’avait nourrie. »

Ma reine accueillit cette déclaration d’un haussement d’épaules dédaigneux. « Est-ce si important que cela, l’instruction ?

— Je pense que oui. J’ai toujours regretté de ne pas avoir appris le latin.

— Pourquoi ?

— Une grande partie de l’expérience de l’humanité a été transmise dans cette langue, Dame, et l’instruction nous donne, entre autres, accès à tout ce que les autres ont su, craint, rêvé ou accompli. Quand on est dans l’embarras, découvrir que quelqu’un a été autrefois dans la même situation fâcheuse, cela peut aider. Cela explique des choses.

— Comme quoi ? » demanda Igraine.

Je haussai les épaules. « Je me souviens de ce que m’a dit Guenièvre, un jour. Je n’ai pas compris parce que c’était en latin, mais elle me l’a traduit, et cela expliquait parfaitement Arthur. Je ne l’ai jamais oublié.

— Eh bien ? Continue.

— Odi at amo, excrucior, citai-je lentement ces mots qui ne m’étaient pas familiers.

— Ce qui signifie ?

— Je déteste et j’adore, cela fait mal. Un poète a écrit cela, j’ai oublié lequel, mais Guenièvre avait lu le poème et, un jour où nous parlions d’Arthur, elle a cité ce vers. Elle comprenait parfaitement son époux, vous voyez.

— Est-ce qu’Argante l’a compris ?

— Oh, non !

— Savait-elle lire ?

— Je n’en suis pas certain. Je ne me souviens pas. Sans doute que non.

— Comment était-elle ?

— Elle avait la peau très pâle parce qu’elle refusait d’aller au soleil. Argante aimait la nuit. Elle avait des cheveux très noirs, aussi lustrés que les plumes d’un corbeau.

— Tu dis qu’elle était petite et mince ?

— Très mince et plutôt petite, mais la chose dont je me rappelle le plus, c’est qu’elle souriait rarement. Elle épiait tout, ne laissait rien passer, et avait toujours un air calculateur. Les gens prenaient cela pour de l’intelligence, mais ce n’en était pas. Elle était simplement la plus jeune de sept ou huit filles, aussi craignait-elle constamment d’être laissée pour compte. Elle attendait tout le temps sa part du gâteau, et croyait toujours ne pas la recevoir. »

Igraine fit la grimace. « Tu la décris comme une fille détestable !

— Elle était avide, amère et très jeune, mais belle aussi. Elle avait une fragilité fort touchante. » Je m’arrêtai et soupirai. « Pauvre Arthur. Il choisissait très mal ses femmes. Sauf Ailleann, bien sûr, mais celle-là, il ne l’avait pas choisie. C’était une esclave qu’on lui avait donnée.

— Qu’est-il arrivé à Ailleann ?

— Elle est morte durant la guerre avec les Saxons.

— Tuée ? » Igraine frissonna.

« Victime de la peste. Une mort tout à fait normale. »

Christ.

Ce nom n’a rien à faire sur cette page, mais je vais l’y laisser. Au moment où Igraine et moi parlions d’Ailleann, l’évêque Sansum est entré dans la pièce. Le saint homme ne sait pas lire, et comme il désapprouverait formellement que j’écrive cette histoire d’Arthur, Igraine et moi prétendons que je rédige un évangile en langue saxonne. Il dit qu’il ne sait pas lire, mais est capable de reconnaître certains mots, et Christ en fait partie. C’est pourquoi je l’ai écrit. Il l’a vu aussi, et a grogné d’un air soupçonneux. Il a l’air très vieux ces jours-ci. Presque tous ses cheveux sont tombés bien qu’il lui reste encore deux touffes blanches, comme les oreilles de Lughtigern, le Seigneur des Souris. Il souffre en urinant, mais ne veut pas confier son corps aux femmes-sages pour qu’elles le soignent, car il affirme qu’elles sont toutes païennes. Dieu le guérira, proclame le saint homme, mais parfois, que Dieu me pardonne, je prie pour qu’il meure car alors ce petit monastère aurait un nouvel évêque. « Ma Dame va bien ? demanda-t-il à Igraine après avoir jeté un coup d’œil au parchemin.

— Oui, merci, Monseigneur. »

Sansum fureta dans la pièce, cherchant quelque chose à redire, mais je ne vois pas ce qu’il espérait trouver dans une pièce aussi austère : un grabas, une table de travail, un tabouret et l’âtre. Il aurait aimé me critiquer si j’avais allumé un feu, mais aujourd’hui il fait très doux pour un jour d’hiver, et j’économise le peu de bois que le saint homme m’accorde. Il donna une chiquenaude à un flocon de poussière, décida de ne pas faire de commentaire, et se contenta de regarder Igraine d’un air interrogateur. « Votre terme approche, Dame ?

— Dans moins de deux lunes, m’ont-elles dit, Monseigneur. » Igraine fit le signe de croix sur sa robe bleue.

« Vous savez, bien entendu, que nos prières pour vous, Dame, retentiront dans tout le ciel, déclara Sansum sans en penser le moindre mot.

— Priez aussi pour que les Saxons ne se rapprochent pas trop de nous, répliqua Igraine.

— Le pourraient-ils ? demanda Sansum alarmé.

— Mon époux a entendu dire qu’ils se préparaient à attaquer Ratae.

— Ratae est loin d’ici, dit dédaigneusement l’évêque.

— Un jour et demi ? Et si Ratae tombe, quelle forteresse y a-t-il entre nous et les Saxons ?

— Dieu nous protégera, déclara l’évêque se faisant inconsciemment l’écho de la foi exprimée longtemps auparavant par le pieux roi Meurig, comme Dieu vous protégera, Dame, à l’heure de votre épreuve. » Il resta encore quelques minutes, bien qu’il n’eût rien de spécial à nous dire. Le saint homme s’ennuie, ces jours-ci. Il manque de vilenies à fomenter. Frère Maelgwyn, le plus vigoureux de nous tous, qui effectue la plupart des travaux de force du monastère, est mort il y a quelques semaines et, avec sa disparition, l’évêque a perdu l’une des cibles favorites de ses remarques méprisantes. Il trouve peu de plaisir à me tourmenter car j’endure patiemment son venin et, en outre, je suis sous la protection d’Igraine et de son époux.

Sansum finit par s’en aller et Igraine lui fait une grimace dès qu’il nous eut tourné le dos. « Dis-moi, Derfel, demanda-t-elle quand le saint homme fut hors de portée d’oreille, que devrais-je faire pour la naissance ?

— Pourquoi diable me demander cela à moi ? Je ne connais rien à l’accouchement, Dieu merci ! Je n’ai jamais vu un enfant naître et ne le désire pas.

— Mais tu connais les usages anciens, c’est à cela que je pense, insista-t-elle.

— Les femmes de votre caer en sauront bien plus que moi, mais lorsque Ceinwyn accouchait, nous faisions toujours très attention à ce qu’il n’y ait pas de fer dans le lit, d’urine de femme sur le seuil, d’armoise dans le feu et, bien entendu, il fallait qu’une jeune vierge soit prête à prendre dans ses bras le nouveau-né, dès son arrivée sur la paille de naissance. Et plus important de tout, ajoutai-je sévèrement, il ne devait y avoir aucun homme dans la chambre. Rien n’apporte autant de malchance qu’une présence masculine lors d’une naissance. » Je touchai le clou qui dépassait de mon pupitre pour conjurer le mauvais sort lié à la simple mention d’une circonstance si néfaste. Bien sûr, nous, les chrétiens, ne croyons plus que toucher du fer peut influer sur le destin, bon ou mauvais, mais mes doigts polissent encore souvent la tête de ce clou. « Cette histoire de Saxons, c’est vrai ?

— Ils se rapprochent, Derfel. »

Je frottai de nouveau le clou. « Alors, dis à ton époux d’aiguiser les lances.

— Il n’a pas besoin de ce genre d’avertissement », répliqua-t-elle d’un ton résolu.

Je me demande si la guerre finira un jour. Depuis que je suis au monde, les Bretons se battent contre les Saxons, et même si nous avons remporté sur eux une grande victoire, au cours des années écoulées depuis celle-ci, nous avons perdu encore plus de territoires et, avec eux, les histoires attachées aux vallées et aux collines. L’Histoire n’est pas seulement le récit de ce que font les hommes, mais c’est une chose liée à la terre. Nous donnons à une colline le nom d’un héros qui y est mort, ou à une rivière celui d’une princesse qui s’est enfuie sur ses bords, et quand les anciens noms s’évanouissent, les histoires disparaissent avec eux et ceux qui les remplacent ne gardent aucune trace du passé. Les Saïs prennent notre terre et notre histoire. Ils se répandent comme une maladie, et nous n’avons plus d’Arthur pour nous protéger. Arthur, le fléau des Saïs, le seigneur de la Bretagne et l’homme que l’amour blessa plus qu’aucune plaie causée par l’épée ou la lance. Comme Arthur me manque !

 

*

 

Au solstice d’hiver, nous priions pour que les Dieux ne laissent pas la terre livrée à la grande obscurité. Par les plus sombres des hivers, ces prières ressemblaient souvent à des supplications désespérées et elles ne le furent jamais plus que l’année précédant l’assaut des Saxons, où notre monde était enseveli sous une carapace de glace et de neige verglacée. Pour nous, les adeptes de Mithra, le solstice avait une double signification, car c’était aussi le temps de la naissance de notre dieu, et après la grande fête donnée à Dun Caric, j’emmenai Issa dans les cavernes où nous pratiquions nos cérémonies les plus solennelles et, là, je l’initiai au culte. Il passa les épreuves avec succès et fut accueilli dans cette troupe de guerriers d’élite qui gardent les mystères du dieu. Ensuite, nous festoyâmes. J’immolai le taureau, cette année-là, lui coupant d’abord les jarrets afin que l’animal ne puisse plus bouger, puis, levant ma hache sous le plafond bas de la grotte, je lui sectionnai l’épine dorsale. Je me souviens que celui-là avait un foie ratatiné, ce qui fut tenu pour un mauvais présage, mais il n’y en eut pas de bon durant cet hiver glacé.

Quarante hommes assistaient au rituel, en dépit du temps rigoureux. Arthur, bien qu’initié de longue date, ne vint pas, mais Sagramor et Culhwch avaient quitté leurs postes frontières pour la cérémonie. À la fin du festin, alors que la plupart des guerriers s’étaient endormis sous l’effet de l’hydromel, nous nous retirâmes tous trois dans un tunnel bas où la fumée était moins épaisse et où nous pûmes parler en particulier.

Mes deux compagnons étaient certains que les Saxons attaqueraient directement dans la vallée de la Tamise. « On m’a dit qu’ils remplissent Londres et Pontes de nourriture et d’équipements. » Sagramor fit une pause pour arracher la viande d’un os, d’un coup de dents. Cela faisait des mois que je ne l’avais pas vu et je trouvais sa compagnie rassurante ; le Numide était le plus robuste et le plus redoutable de tous les chefs de guerre d’Arthur, et ses prouesses se reflétaient sur son visage en lame de couteau. C’était aussi le plus loyal des hommes, un ami à toute épreuve, un merveilleux conteur et, par-dessus tout, un guerrier né qui pouvait se montrer plus malin que n’importe quel ennemi et le vaincre. Sagramor terrifiait les Saxons qui le prenaient pour un sombre démon de l’Autre Monde. Nous étions contents qu’ils vivent dans cette peur qui les engourdissait et, même si les Saïs nous surpassaient en nombre, c’était un réconfort d’avoir avec nous son épée et ses lanciers expérimentés.

« Cerdic n’attaquera pas dans le sud ? » demandai-je.

Culhwch secoua la tête : « Il n’en montre aucun signe. Rien ne bouge à Venta.

— Ils se méfient l’un de l’autre, expliqua Sagramor. Ils n’oseront pas se perdre de vue. Cerdic craint que nous achetions Aelle, et Aelle a peur que Cerdic prenne plus que sa part du butin, si bien qu’ils vont rester plus proches que des frères.

— Alors, que va faire Arthur ?

— Nous espérions qu’il nous le dirait, me répondit Culhwch.

— Arthur ne me parle plus, dis-je sans essayer de dissimuler mon amertume.

— On est deux dans le même cas, grommela Culhwch.

— Trois, ajouta Sagramor. Il vient me voir, pose des questions, participe à des raids, puis s’en va. Sans un mot.

— Espérons qu’il pense, dis-je.

— Trop occupé par sa nouvelle épouse, sans doute, suggéra Culhwch avec aigreur.

— Tu l’as rencontrée ?

— Une petite chatte irlandaise, toutes griffes dehors. » Culhwch nous raconta qu’en venant, il avait rendu visite à Arthur et à sa nouvelle épouse. « Elle est assez jolie, reconnut-il de mauvaise grâce. Si c’était une esclave prise à l’ennemi, on voudrait probablement la garder un bon moment dans sa cuisine. Moi, en tout cas. Pas toi, Derfel. » Culhwch me taquinait souvent sur ma fidélité conjugale. Sagramor avait fait d’une captive saxonne son épouse et sa loyauté envers elle était aussi proverbiale que la mienne. « À quoi sert un taureau qui ne monte qu’une seule vache ? » insista Culhwch. Ni Sagramor ni moi ne réagîmes à cette raillerie.

« Arthur est effrayé », préféra dire le Numide, puis il se tut, rassemblant ses idées. Le Numide parlait breton, bien qu’avec un horrible accent, mais ce n’était pas sa langue maternelle et il s’exprimait souvent lentement pour être sûr de bien transmettre sa pensée. « Il a défié les Dieux, pas seulement à Mai Dun, mais en s’emparant du pouvoir de Mordred. Les chrétiens le détestent et maintenant, les païens disent qu’il est leur ennemi. Vous voyez ce qui lui reste d’amis ?

— L’ennui avec Arthur, c’est qu’il ne croit pas aux Dieux, dit Culhwch avec dédain.

— Il croit en lui-même, répliqua Sagramor, et quand Guenièvre l’a trahi, cela lui a porté un coup en plein cœur. Il a honte. Il a perdu de sa fierté, et c’est un orgueilleux. Il pense que nous nous moquons tous de lui, c’est pour cela qu’il est froid avec nous.

— Je ne me moque pas de lui, protestai-je.

— Moi si, dit Culhwch qui fit la grimace en étirant sa jambe blessée. Ce stupide bâtard. Avec Guenièvre, il aurait dû utiliser de temps en temps son ceinturon. Cela l’aurait dressée, cette putain.

— Maintenant, il craint la défaite, poursuivit Sagramor, ignorant superbement l’opinion prévisible de Culhwch. Qu’est-il, sinon un soldat ? Il aime à se prendre pour un homme bon et croit qu’il gouverne parce qu’il était fait pour cela, mais c’est l’épée qui l’a porté au pouvoir. Au fond, il sait que s’il perd cette guerre, il perdra la chose à laquelle il tient le plus : sa réputation. On se souviendra de lui comme d’un usurpateur qui n’a pas été capable de garder ce dont il s’était emparé. C’est pour cela que l’idée d’une seconde défaite le terrorise.

— Argante pourra peut-être guérir son premier échec.

— J’en doute, répliqua Sagramor. Galahad m’a dit qu’Arthur n’avait pas vraiment envie de l’épouser.

— Pourquoi l’a-t-il fait ? » demandai-je tristement.

Sagramor haussa les épaules. « Pour contrarier Guenièvre ? Pour faire plaisir à Œngus ? Pour nous montrer qu’il n’avait pas besoin de sa première épouse ?

— Pour besogner une jolie fille ? suggéra Culhwch.

— S’il le fait », dit Sagramor.

Culhwch, visiblement secoué, regarda fixement le Numide. « Bien sûr qu’il le fait. »

Sagramor secoua la tête. « J’ai entendu dire que non. Ce n’est qu’une rumeur, bien sûr, et la moins fiable des rumeurs est celle concernant un homme et son épouse. Mais je pense que cette princesse est trop jeune au goût d’Arthur.

— Elles ne sont jamais trop jeunes », grommela Culhwch. Sagramor se contenta de hausser les épaules. C’était un homme bien plus subtil que Culhwch et cela lui permettait de mieux comprendre Arthur, qui aimait tant paraître simple et direct, mais dont l’âme était aussi complexe que les spirales tournoyantes et les dragons à la queue enroulée qui décoraient la lame d’Excalibur.

Nous nous séparâmes dans la matinée, nos lances et nos épées encore rougies du sang du taureau sacrifié. Issa était surexcité. Valet de ferme quelques années auparavant, il se retrouvait aujourd’hui adepte de Mithra et serait bientôt père, m’avait-il dit, car Scarach, son épouse, était enceinte. Issa, que son initiation avait rempli de confiance en lui, semblait convaincu que nous pourrions battre les Saxons sans l’aide du Gwent, mais je ne partageais pas sa foi. Je n’aimais peut-être pas Guenièvre, mais je ne l’avais jamais prise pour une idiote, et ses prévisions d’une attaque de Cerdic dans le sud m’inquiétaient. L’autre possibilité se tenait, bien sûr ; Cerdic et Aelle ne s’étaient alliés qu’à contrecœur et ne voudraient sans doute pas se perdre de vue. Une attaque écrasante dans la vallée de la Tamise serait le moyen le plus rapide d’atteindre la mer de Severn et de séparer les royaumes bretons, alors pourquoi les Saxons sacrifieraient-ils l’avantage du nombre qu’ils avaient sur nous pour diviser leurs forces en deux armées plus petites qu’Arthur pourrait vaincre l’une après l’autre ? Pourtant, si celui-ci ne s’attendait qu’à une seule attaque et ne se gardait que contre elle, les avantages d’un assaut mené au sud étaient incalculables. Pendant qu’Arthur se battrait contre une armée saxonne dans la vallée de la Tamise, l’autre pourrait lui échapper en contournant son flanc droit et atteindre la Severn sans presque rencontrer d’opposition. Mais Issa ne s’inquiétait pas de telles choses. Il se voyait simplement au sein du mur de boucliers où, anobli par l’accueil favorable que lui avait accordé Mithra, il faucherait les Saxons comme un fermier son foin mûr.

Le temps demeura froid après le solstice. Le soleil, dans les aubes pâles et glacées, se réduisait à un disque rougeoyant voilé par les nuages, au ras de l’horizon. Les loups venaient récupérer nos détritus jusque dans les terres cultivées, chassant les moutons que nous avions parqués dans des replis de terrain entourés de claies, et un jour nous abattîmes glorieusement six bêtes grises qui me fournirent six nouvelles queues pour les heaumes de ma troupe. Mes hommes avaient commencé à accrocher ces queues à leurs cimiers dans les forêts profondes de l’Armorique où nous combattions les Francs : comme nous les attaquions en prédateurs, ils nous avaient traités de loups et nous avions tourné cette insulte en compliment. Nous étions les queues de loup, même si nos boucliers, au lieu de porter le masque de cet animal, arboraient une étoile à cinq branches, en hommage à Ceinwyn.

Mon épouse répétait avec insistance qu’au printemps elle n’irait pas se réfugier dans son pays. Morwenna et Seren partiraient, mais elle resterait. Cette décision me mit en colère. « Pour courir le risque que nos filles perdent à la fois leur mère et leur père ? demandai-je.

— Si c’est le décret des Dieux, oui, répliqua-t-elle avec calme, puis elle haussa les épaules. Je suis peut-être égoïste, mais c’est ce que je veux.

— Vouloir mourir ? Tu trouves ça égoïste ?

— Je ne veux pas m’éloigner de toi, Derfel. Sais-tu ce que c’est que d’être dans un pays lointain pendant que son homme se bat ? On attend dans la terreur. On craint l’arrivée d’un messager. On tend l’oreille à toutes les rumeurs. Cette fois, je resterai.

— Pour me mettre un souci de plus en tête ?

— Que tu es arrogant ! Tu crois que je ne peux pas me débrouiller toute seule ?

— Cette petite bague ne pourra pas te protéger des Saxons, dis-je en montrant la minuscule agate.

— Alors je me défendrai toute seule. Ne t’inquiète pas, Derfel, je ne serai pas dans tes jambes et je ne me laisserai pas capturer. »

Le lendemain, les premiers agneaux naquirent dans un parc à moutons, au pied de Dun Caric. C’était un peu tôt dans la saison, mais j’y vis comme un signe favorable envoyé par les Dieux. Avant que Ceinwyn puisse l’interdire, le premier né fut sacrifié pour que le reste de l’agnelage se déroule sans incident. Sa toison ensanglantée fut clouée à un saule, près du ruisseau, et le lendemain, un aconit fleurit au pied de l’arbre, ses petits pétales jaunes apportant la première tache de couleur de l’année nouvelle. Ce même jour, je vis trois martins-pêcheurs voltiger, étincelants et vifs comme l’éclair, sur les berges gelées du ruisseau. La vie se ranimait. À l’aube, après que les jeunes coqs nous avaient réveillés, nous entendions à nouveau les chants des grives, des rouges-gorges, des alouettes, des roitelets et des moineaux.

Arthur nous envoya chercher, deux semaines après la naissance des premiers agneaux. La neige ayant fondu, ses messagers avaient peiné sur les routes boueuses pour nous apporter cette convocation au palais de Lindinis. Nous devions y être pour la fête d’Imbolc, la première après le solstice, vouée à la Déesse de la fertilité. Ce jour-là, nous obligeons des agneaux nouveau-nés à franchir un cerceau enflammé et après, quand elles croient que personne ne les regarde, les jeunes filles font de même et, plongeant le doigt dans les cendres, s’en barbouillent l’entre-jambes. Un bébé né en novembre est appelé enfant d’Imbolc ; il a la cendre pour mère et le feu pour père. Ceinwyn et moi arrivâmes la veille de la fête, au moment où le soleil hivernal projetait de longues ombres sur l’herbe pâle. Les lanciers d’Arthur entouraient le palais, protégeant notre chef de l’hostilité menaçante du peuple, ravivée par le souvenir de l’invocation magique, par Merlin, de la jeune fille qui avait lui dans la cour du palais.

À ma grande surprise, je découvris que tout y était prêt pour la fête. Arthur ne s’était jamais soucié de ce genre de choses, laissant à Guenièvre les pratiques religieuses, or celle-ci n’avait jamais célébré de fêtes campagnardes aussi frustes qu’Imbolc ; mais aujourd’hui un grand cerceau de paille tressée se dressait au centre de la cour et une poignée d’agneaux nouveau-nés étaient enfermés avec leurs mères dans un petit enclos de claies. Culhwch nous accueillit, en montrant le cerceau d’un hochement de tête coquin. « Une occasion pour toi d’avoir un autre bébé, dit-il à Ceinwyn.

— Pour quelle autre raison serais-je ici ? répondit-elle en lui donnant un baiser. Combien en as-tu maintenant ?

— Vingt et un, énonça-t-il fièrement.

— De combien de mères ?

— Dix. » Il fit un grand sourire et me donna une claque dans le dos. « Nous allons recevoir nos ordres, demain.

— Qui nous ?

— Toi, moi, Sagramor, Galahad, Lanval, Balin, Morfans, tout le monde. » Culhwch haussa les épaules.

« Argante est ici ? demandai-je.

— Qui a fait préparer le cerceau, à ton avis ? C’est une idée à elle. Argante a amené un druide de Démétie et, avant de souper, nous devrons adorer Nantosuelta.

— Qui ça ? demanda Ceinwyn.

— Une déesse », répondit négligemment Culhwch. Il y avait tellement de dieux et de déesses qu’il était impossible, si l’on n’était pas druide, de les connaître tous et ni Ceinwyn ni moi n’avions jamais entendu parler de celle-là.

Nous ne vîmes ni Arthur ni Argante jusqu’au moment où, à la nuit tombée, Hygwydd nous convoqua tous dans la cour éclairée par des torches imprégnées de poix qui brûlaient dans leurs supports de fer. Je me souvins de la nuit de Merlin et de tous ces gens emplis d’une crainte révérencielle qui tendaient leurs bébés malades et estropiés vers Olwen l’Argentée. Maintenant une assemblée de seigneurs et de dames attendaient, l’air embarrassé, de chaque côté du cerceau tressé, tandis qu’au fond, sur une estrade, on avait disposé trois fauteuils drapés de lin blanc. Un druide se tenait à côté du dispositif et je me dis que ce devait être celui qu’Argante avait fait venir du royaume de son père. C’était un petit homme trapu dont la barbe noire tressée s’ornait de touffes de poils de renard et de petits os. « Il s’appelle Fergal, me dit Galahad, et il déteste les chrétiens. Il a passé tout l’après-midi à lancer des incantations contre moi, puis Sagramor est arrivé et il a failli s’évanouir d’horreur. Il croyait que c’était Crom Dubh en personne. » Galahad rit.

Il était de fait que Sagramor, vêtu de cuir noir, ceint de son épée au fourreau noir, aurait pu être ce dieu sombre. Il était venu à Lindinis en compagnie de Malla, son épouse saxonne, une grande femme placide, et tous deux se tenaient à l’écart. Le Numide vénérait Mithra, mais n’avait que faire des Dieux bretons, alors que Malla priait toujours Woden, Eostre, Thunor, Fir et Seaxnet, les dieux de son peuple.

Tous les chefs de guerre d’Arthur étaient là et, tandis que nous l’attendions, je pensais aux absents : Cei, camarade d’enfance d’Arthur du lointain Gwynedd, massacré par les chrétiens à Isca, lors de la rébellion, et Agravain, commandant de la cavalerie d’Arthur, mort durant l’hiver, emporté par une fièvre. Balin avait repris la fonction d’Agravain et amené trois épouses à Lindinis, ainsi qu’une bande de petits enfants râblés qui fixaient, horrifiés, Morfans, l’homme le plus laid de Bretagne, dont le visage nous était maintenant si familier que nous ne remarquions plus son bec de lièvre, son cou goitreux ou sa mâchoire tordue. Excepté Gwydre, encore adolescent, j’étais sans doute le plus jeune et m’en apercevoir me troubla. Nous avions besoin de nouveaux chefs de guerre et je décidai sur-le-champ de donner à Issa sa propre troupe dès que la guerre avec les Saxons serait terminée. Si Issa y survivait. Si moi, j’y survivais.

Galahad veillait sur Gwydre et tous deux vinrent se poster à côté de Ceinwyn et moi. Galahad avait toujours été bel homme, mais maintenant qu’il atteignait la maturité, sa beauté s’imprégnait d’une dignité nouvelle. Sa chevelure dorée grisonnait et il portait maintenant une barbiche pointue. Nous avions toujours été proches, mais en cet hiver difficile, il l’était probablement plus d’Arthur que de quiconque. Galahad n’avait pas été témoin de sa honte et cela, ainsi que sa sympathie tranquille, rendait sa présence tolérable à notre chef. Ceinwyn lui demanda comment allait Arthur, à voix basse afin que Gwydre ne puisse pas entendre. « J’aimerais bien le savoir, répondit Galahad.

— Il est certainement heureux, fit observer mon épouse.

— Pourquoi ?

— Il a une nouvelle épouse ? » suggéra-t-elle.

Galahad sourit. « Quand un homme entreprend un voyage, chère Dame, et qu’on lui vole son cheval en cours de route, souvent il en achète un autre beaucoup trop vite.

— Et ne l’enfourche pas après, paraît-il ? glissai-je sans ménagement.

— Tu as entendu dire cela, Derfel ? » répondit Galahad sans confirmer ni rejeter la rumeur. Il sourit. « Le mariage reste un tel mystère pour moi. » Il ne s’était jamais marié. En fait, il était resté comme l’oiseau sur la branche depuis que les Francs avaient envahi Ynys Trebes, son pays natal. Il vivait en Dumnonie et avait vu une génération d’enfants devenir adultes, mais il semblait toujours en visite. Il disposait de quelques pièces dans le palais, à Durnovarie, mais se contentait de peu de meubles et d’un maigre confort. Il était l’émissaire d’Arthur, traversant à cheval toute la Bretagne pour résoudre les problèmes que posaient les autres royaumes, ou bien accompagnant Sagramor dans ses incursions de l’autre côté de la frontière saxonne, et ne paraissait jamais si heureux que lorsqu’il était ainsi employé. Je l’avais parfois soupçonné de nourrir des sentiments amoureux pour Guenièvre, mais Ceinwyn s’était toujours moquée de cette idée. Galahad, disait-elle, était amoureux de la perfection et bien trop difficile à contenter pour aimer une vraie femme. Il les aimait en idée, expliquait-elle, mais ne pourrait supporter la réalité de la maladie, du sang et de la douleur. Dans la bataille, ces choses-là ne le révulsaient pas, mais c’étaient des hommes qui saignaient, qui se montraient faillibles, et Galahad n’avait jamais idéalisé les hommes, seulement les femmes. Et peut-être avait-elle raison. Je savais seulement que, parfois, mon ami devait souffrir de la solitude, bien qu’il ne se plaignît nullement. « Arthur est très fier d’Argante, dit-il avec douceur, mais d’un ton qui suggérait quelque sous-entendu.

— Mais ce n’est pas Guenièvre, n’est-ce pas ?

— Certainement pas Guenièvre, acquiesça-t-il, satisfait que j’aie exprimé sa pensée, bien qu’elle lui ressemble par certains côtés.

— Lesquels ? demanda Ceinwyn.

— Elle est ambitieuse, dit Galahad d’un air hésitant. Elle pense qu’Arthur devrait céder la Silurie à son père.

— Comment pourrait-il donner un pays qu’il ne possède pas !

— Oui, mais Argante pense qu’il pourrait la conquérir. »

Je crachai. Pour cela, Arthur devrait combattre le Gwent et même le Powys, les deux pays qui gouvernaient conjointement ce territoire. « Elle est folle.

— Ambitieuse, et irréaliste, me corrigea Galahad. »

— Tu aimes bien Argante ? » lui demanda Ceinwyn sans ambages.

Il échappa à cette question délicate car la porte du palais s’ouvrit soudain toute grande et Arthur apparut enfin. Tout de blanc vêtu, comme à l’ordinaire, mais son visage s’était tellement émacié ces derniers mois que, soudain, il paraissait vieux. Ce qui était d’autant plus cruel qu’il donnait le bras à sa nouvelle épouse, parée d’une robe dorée, et que celle-ci semblait à peine sortie de l’enfance.

Je voyais pour la première fois Argante, princesse de Ui Liathain, sœur d’Iseult ; elle ressemblait par plus d’un trait à cette malheureuse. C’était un être frêle, plus une petite fille et pas encore une femme, qui en cette Vigile  d’Imbolc paraissait d’autant plus proche de l’enfance qu’elle portait un grand manteau de lin raide qui avait sûrement appartenu à Guenièvre. Cet habit de cérémonie était beaucoup trop grand pour Argante, qui marchait gauchement dans ses replis dorés. Je me souvins qu’ayant vu sa sœur couverte de bijoux, j’avais pensé qu’Iseult ressemblait à une petite fille parée de l’or de sa mère ; Argante donnait aussi l’impression de s’être déguisée et, comme un enfant qui joue à l’adulte, elle se tenait avec une solennité appliquée afin de pallier son manque intérieur de dignité. Sa chevelure d’un noir luisant, réunie en une seule natte enroulée autour de sa tête, était maintenue en place par une broche de jais qui rappelait les boucliers des redoutables guerriers de son père, et cette pompe convenait mal à son visage juvénile, tout comme le lourd torque d’or qu’elle portait au cou semblait trop massif pour sa gorge mince. Arthur l’emmena jusqu’à l’estrade et la fit asseoir, avec un salut, dans le fauteuil de gauche ; je doute qu’il y eût un seul homme dans la cour, invité, druide ou garde, qui ne pensât combien ils avaient l’air d’être père et fille. Lorsque Argante fut assise, il y eut un silence, un moment de gêne, comme si l’on avait oublié un élément du rituel et que la cérémonie solennelle courût le danger de tourner au ridicule, mais alors, un bruit de pas traînants et quelques ricanements retentirent près de la porte et Mordred apparut sur le seuil. Notre roi au pied bot boitillait, un sourire sournois sur le visage. Comme Argante, il jouait un rôle, mais contrairement à elle, il ne le faisait pas de son plein gré. Il savait que tous les hommes présents étaient des partisans d’Arthur qui le détestaient et que, même s’ils faisaient semblant de le prendre pour leur roi, il ne vivait que parce qu’ils le toléraient. Il grimpa sur l’estrade. Arthur s’inclina et nous fîmes tous de même. Mordred, ses cheveux raides plus rebelles que jamais, une barbe encadrant vilainement son visage rond, répondit d’un bref hochement de tête puis s’assit dans le fauteuil du milieu. Argante lui lança un regard curieusement amical, Arthur s’empara du dernier siège ; ils formaient tous une belle brochette, l’empereur, le roi et l’épouse enfant.

Je ne pus m’empêcher de penser que Guenièvre aurait fait tout cela tellement mieux. Il y aurait eu de l’hydromel chaud, beaucoup plus de brasiers, et de la musique pour noyer les silences embarrassants, mais ce soir-là, personne ne semblait savoir ce qui allait se passer jusqu’à ce qu’Argante s’adresse d’une voix sifflante au druide de son père. Fergal jeta un regard inquiet alentour, puis traversa précipitamment la cour pour s’emparer de l’une des torches. Il s’en servit pour allumer le cerceau, puis murmura d’incompréhensibles incantations tandis que les flammes s’emparaient de la paille.

Des esclaves sortirent les cinq agneaux nouveau-nés de l’enclos. Les brebis appelèrent pitoyablement leurs petits qui se tortillaient dans les bras des porteurs. Fergal attendit que le cerceau fût entièrement embrasé, puis ordonna que les agneaux le franchissent. Il s’ensuivit une grande confusion. Les petites bêtes, ignorant que la fertilité de la Dumnonie dépendait de leur docilité, s’éparpillèrent dans toutes les directions, sauf celle du feu ; les enfants de Balin se joignirent avec enthousiasme à la chasse, en poussant des cris, et ne réussirent qu’à aggraver le désordre, mais enfin, un par un, les agneaux furent rassemblés et poussés vers le cerceau ; à la longue, on réussit à les persuader tous les cinq de franchir le cercle de feu, mais la solennité voulue s’était évanouie. Argante, sans doute accoutumée à voir ce genre de cérémonie se dérouler infiniment mieux dans sa Démétie natale, fronçait les sourcils, mais nous autres, nous riions et bavardions. Fergal restaura la dignité de cette nuit en poussant soudain un cri sauvage qui nous glaça tous. Le druide, la tête rejetée en arrière, regardait fixement les nuages ; il tenait d’une main un grand couteau de silex et de l’autre un agneau qui se débattait en vain.

« Oh, non », protesta Ceinwyn, et elle se détourna. Gwydre fit la grimace et je passai le bras autour de ses épaules.

Fergal brailla son défi à la nuit, puis brandit au-dessus de sa tête l’agneau et le couteau. Il cria de nouveau, et s’en prit férocement au petit animal, frappant et déchiquetant son corps avec le couteau émoussé et peu maniable ; l’agneau se débattait de plus en plus faiblement et bêlait pour appeler sa mère qui répondait désespérément, tandis que son sang coulait de sa toison sur le visage levé de Fergal et sur sa barbe en bataille, hérissée de poils de renard et ornée de petits os. Galahad me murmura à l’oreille : « Je suis bien content de ne pas vivre en Démétie. »

J’observai Arthur durant cet étonnant sacrifice, et vis une expression de répulsion se peindre sur son visage. Quand il s’aperçut que je le surveillais, ses traits se durcirent. Argante, la bouche avidement ouverte, se penchait pour mieux voir le druide. Mordred souriait d’une oreille à l’autre.

L’agneau mourut et Fergal se mit à bondir comme un fou d’un bout à l’autre de la cour en secouant le cadavre et hurlant des prières. Des gouttelettes de sang nous éclaboussèrent. Je jetai ma cape sur Ceinwyn lorsque le druide, le visage ruisselant de sang, passa devant nous en dansant. Visiblement, Arthur avait ignoré que l’on préparait cette tuerie barbare. Il avait sans doute cru que sa nouvelle épouse avait organisé quelque cérémonie solennelle en préambule du festin, mais le rituel s’était mué en une orgie de sang. Les cinq agneaux furent massacrés et quand la dernière petite gorge eut été tranchée par la sombre lame de silex, Fergal recula et désigna le cerceau. « Nantosuelta vous attend, nous cria-t-il, elle est là ! Venez à elle ! » Il attendait nettement une réaction, mais aucun de nous ne bougea. Sagramor contemplait la lune et Culhwch cherchait un pou dans sa barbe. De petites flammes dansaient tout le long du cerceau et des fragments de paille embrasés voletaient avant de se déposer sur les cadavres déchiquetés, ensanglantés, qui gisaient sur les dalles de la cour, et nous restions toujours immobiles. « Venez à Nantosuelta ! » cria encore Fergal d’une voix rauque.

Alors Argante se leva. D’un mouvement d’épaules, elle se débarrassa du manteau de cérémonie, doré et raide, révélant ainsi une simple robe de laine bleue qui la faisait paraître encore plus enfantine. Elle avait d’étroites hanches de garçon, de petites mains et un visage délicat aussi blanc que les toisons des agneaux avant que le couteau noir ne prenne leurs jeunes vies. Fergal l’appela. « Venez, entonna-t-il, venez à Nantosuelta, Nantosuelta vous appelle, venez à Nantosuelta », et il continua à chanter, sommant Argante de rejoindre sa déesse. Argante, presque en transe maintenant, avançait lentement, chaque pas semblait lui coûter un effort tandis qu’elle marchait puis s’arrêtait, marchait puis s’arrêtait, et que le druide l’attirait de ses incantations. « Venez à Nantosuelta, psalmodiait-il, Nantosuelta vous appelle, venez à Nantosuelta. » Argante avait fermé les yeux. Si pour elle, du moins, l’instant était solennel, nous, je crois, étions plutôt gênés. Arthur paraissait consterné car, semblait-il, il n’avait fait qu’échanger Isis contre Nantosuelta. Quant à Mordred, à qui l’on avait jadis promis Argante pour épouse, il regardait d’un air avide la jeune fille qui avançait en traînant les pieds. « Venez à Nantosuelta, Nantosuelta vous appelle. » Fergal lui faisait toujours signe, mais maintenant sa voix parodiait des stridences féminines.

Argante atteignit le cerceau et lorsque la chaleur des dernières flammes toucha son visage, elle ouvrit les yeux et parut presque surprise de se retrouver à côté du feu de la déesse. Elle regarda Fergal, puis se pencha et franchit rapidement l’anneau fumant. Elle sourit d’un air de triomphe et le druide l’applaudit, nous invitant tous à nous joindre à lui. Nous le fîmes par politesse, mais nos applaudissements dépourvus d’enthousiasme cessèrent lorsque Argante s’accroupit à côté des agneaux morts. Nous gardâmes tous le silence tandis qu’elle plongeait un doigt délicat dans l’une des blessures. Elle le retira et le leva bien haut afin que nous puissions tous voir qu’il était taché de sang. Puis elle se tourna vers Arthur. Elle le regarda fixement, la bouche ouverte, montrant ses petites dents blanches, puis, lentement, mit le doigt dans sa bouche et le suça. Gwydre, je le vis, contemplait sa belle-mère avec incrédulité. Elle n’était pas beaucoup plus âgée que lui. Ceinwyn frissonna, sa main étreignit plus fort la mienne.

Argante n’avait pas encore terminé. Elle se retourna, trempa de nouveau son doigt dans le sang et le fourra dans les cendres chaudes du cerceau. Puis, toujours accroupie, elle passa la main sous l’ourlet de sa robe pour se frotter les cuisses avec ce mélange de sang et de cendres. Elle assurait ainsi sa fécondité. Elle se servait du pouvoir de Nantosuelta pour établir sa dynastie et nous étions tous témoins de son ambition. Elle fermait les yeux, presque en extase, puis, le rituel terminé, se releva soudain, la main de nouveau visible, et fît signe à Arthur de venir. Elle sourit pour la première fois, et je vis qu’elle était belle, mais d’une beauté sans charme, aussi dure, à sa façon, que celle de Guenièvre, mais que n’adoucissait pas la toison lumineuse de celle-ci.

Elle fit de nouveau signe à Arthur, car apparemment le rituel exigeait que lui aussi passe dans le cerceau. Durant une seconde, il hésita, puis regarda Gwydre et, incapable de supporter plus longtemps toute cette superstition, il se leva et fit non de la tête. « Allons manger », ordonna-t-il d’un ton cassant, puis il tempéra la sécheresse de son invitation en souriant à ses invités ; à cet instant, je jetai un coup d’œil sur Argante et vis se peindre sur son visage pâle la furie à l’état pur. Durant un battement de cœur, je crus qu’elle allait injurier Arthur. Son petit corps se raidit, elle serra les poings, mais Fergal, qui semblait avoir été le seul avec moi à remarquer sa rage, lui chuchota quelques mots à l’oreille, et elle frissonna tandis que sa colère la quittait. Arthur n’avait rien remarqué. « Emportez les torches », ordonna-t-il aux gardes, et l’on transporta les flammes dans le palais pour illuminer la salle du festin. « Venez », nous cria-t-il et, avec reconnaissance, nous gagnâmes les portes. Argante hésita, mais Fergal lui chuchota encore quelque chose et elle obéit à son mari. Le druide demeura à côté du cerceau fumant.

Ceinwyn et moi fûmes les derniers à partir. Une impulsion soudaine m’avait retenu, je pris Ceinwyn par le bras et la tirai dans l’obscurité de la galerie d’où nous vîmes que quelqu’un d’autre était resté dans la cour. Quand il n’y eut plus, apparemment, que les brebis bêlantes et le druide trempé de sang, la silhouette indistincte sortit de l’ombre. C’était Mordred. Il passa en boitant devant l’estrade et s’arrêta à côté du cerceau. Durant un battement de cœur, le druide et lui se regardèrent fixement, puis Mordred fit un geste gauche, comme s’il sollicitait la permission de franchir les restes rougeoyants du cercle de feu. Fergal hésita, puis acquiesça. Mordred baissa la tête et passa dans le cerceau. Puis il se pencha et trempa son doigt dans le sang, mais je n’attendis pas de voir ce qu’il ferait. J’entraînai Ceinwyn dans le palais où les flammes fuligineuses illuminaient les grandes fresques de chasse et de dieux romains. « S’ils servent de l’agneau, dit mon épouse, je refuse d’en manger. »

Arthur nous offrit du saumon, du sanglier et du chevreuil. Une harpiste jouait. Mordred, dont personne ne remarqua l’entrée tardive, prit place au haut bout de la table où il s’assit, un sourire sournois sur son visage brutal. Il ne parlait à personne, et personne ne lui parlait, mais parfois il jetait un coup d’œil à la pâle et mince Argante qui semblait être la seule à ne pas prendre plaisir au festin. Je la vis croiser le regard de Mordred une fois, et ils haussèrent tous deux les épaules d’un air excédé, comme pour suggérer qu’ils nous méprisaient tous, mais en dehors de cet unique échange, elle ne fit que bouder ; Arthur en était gêné et nous fîmes tous semblant de ne pas remarquer l’humeur de son épouse. Mordred, lui, s’en réjouissait, bien sûr.

Le lendemain matin, nous participâmes à une chasse. Une douzaine d’entre nous, rien que des hommes. Ceinwyn aimait chasser, mais Arthur lui avait demandé de passer la matinée avec Argante, et elle avait accepté à contrecœur.

Nous nous dirigeâmes vers la forêt, mais sans beaucoup d’espoir car Mordred y chassait fréquemment et le piqueur doutait que nous y trouvions du gibier. Les lévriers de Guenièvre, confiés maintenant à Arthur, s’élancèrent en bondissant entre les troncs noirs et réussirent à débusquer une biche qui nous procura un beau galop dans les bois, mais le veneur rappela les chiens quand il vit que la bête était pleine. Arthur et moi, nous nous étions écartés de la chasse, pensant rabattre la proie à l’orée du bois, mais nous tirâmes sur les rênes lorsque nous entendîmes les cors. Arthur regarda autour de lui, comme s’il s’attendait à trouver plus de compagnie, puis il grogna en constatant que j’étais seul. « Étrange cérémonie, hier soir, dit-il, l’air gêné. Mais les femmes aiment ce genre de choses, ajouta-t-il dédaigneusement.

— Pas Ceinwyn », répliquai-je.

Il me lança un regard perçant. Il devait se demander si ma femme m’avait parlé de sa demande en mariage, mais mon visage ne trahissait rien et il décida sans doute qu’elle avait gardé le secret. « Non, pas Ceinwyn. » Il hésita de nouveau, puis rit avec gêne. « Argante croit que j’aurais dû franchir le cerceau pour marquer notre mariage, je lui ai dit que je n’avais pas besoin que des agneaux morts me disent que j’étais marié.

— Je n’ai jamais eu l’occasion de te présenter mes félicitations, dis-je sur un ton très formel, alors permets-moi de le faire aujourd’hui. Ta femme est bien belle. »

Mes paroles lui firent plaisir. « C’est vrai. » Puis il rougit. « Mais ce n’est qu’une enfant.

— Culhwch dit qu’il faudrait toujours les prendre jeunes, Seigneur. »

Il fît comme s’il n’avait pas entendu ma remarque badine. « Je n’avais pas l’intention de me remarier. » Je ne répondis rien. Il ne me regardait pas et contemplait les champs en jachère. « Mais il faut qu’un homme ait une épouse, affirma-t-il, comme s’il essayait de se convaincre lui-même.

— En effet.

— Et l’idée enthousiasmait Œngus. Quand viendra le printemps, Derfel, il nous amènera toute son armée. Et ce sont de bons soldats, les Blackshields.

— Il n’y en a pas de meilleurs, Seigneur. » J’étais certain qu’Œngus aurait combattu avec nous, qu’Arthur épouse Argante ou non. Ce que ce roi voulait, bien sûr, c’était l’alliance d’Arthur contre Cuneglas, roi du Powys, sur les terres duquel il envoyait sans cesse ses lanciers marauder, mais sans doute l’astucieux roi d’Irlande avait-il suggéré à Arthur que le mariage garantirait la participation de ses Blackshields à la future campagne. Le mariage avait dû être conclu à la hâte et, maintenant, Arthur le regrettait.

« Elle veut des enfants, bien sûr, dit Arthur, pensant toujours aux horribles rites qui avaient ensanglanté la cour de Lindinis.

— Pas toi, Seigneur ?

— Pas encore, répondit-il sèchement. Je pense qu’il vaut mieux attendre d’avoir réglé notre conflit avec les Saxons.

— En parlant de cela, dis-je, j’ai une requête à te présenter de la part de Dame Guenièvre. » Arthur me lança un autre regard perçant, mais ne dit rien. « Elle craint d’être sans défense si les Saxons nous attaquent par le sud, et te supplie de l’emprisonner dans un endroit moins exposé. »

Arthur se pencha pour caresser les oreilles de son cheval. En délivrant mon message, je m’attendais à sa colère, mais il ne montra aucune irritation. « Les Saxons pourraient nous attaquer dans le sud, dit-il avec douceur. En fait, j’espère qu’ils le feront, car alors ils diviseront leurs forces et nous pourrons les cueillir l’un après l’autre. Mais le plus grand danger, Derfel, c’est qu’ils ne portent qu’un seul assaut, le long de la Tamise, et je dois me préparer au péril le plus grand, pas au moindre.

— Mais ce serait sûrement prudent de retirer du sud de la Dumnonie tout ce qui a du prix ? » insistai-je.

Il se retourna pour me regarder. Il avait une expression moqueuse, comme s’il me méprisait parce que je montrais de la sympathie pour Guenièvre. « En a-t-elle, Derfel ? » demanda-t-il. Je ne répondis rien et Arthur se détourna pour regarder les champs décolorés où des grives et des merles fouillaient les sillons à la recherche de vers. « Devrais-je la tuer ? me demanda-t-il soudain.

— Tuer Guenièvre ? » répondis-je, choqué par cette suggestion, puis j’imaginai qu’Argante avait probablement inspiré ses paroles. Elle devait s’indigner que Guenièvre vive encore après avoir commis une offense pour laquelle sa sœur était morte. « La décision ne m’appartient pas, Seigneur, mais si elle méritait la mort, il aurait fallu la lui infliger il y a plusieurs mois. Plus maintenant. »

Ce conseil lui tira une grimace. « Qu’en feront les Saxons ?

— Elle pense qu’ils vont la violer. Je les soupçonne de vouloir la mettre sur un trône. »

Il lança des regards noirs sur le paysage délavé. Il savait que je faisais allusion à Lancelot, aussi était-il en train d’imaginer sa gêne de voir son ennemi mortel sur le trône de Dumnonie en compagnie de Guenièvre, et Cerdic les tenant en son pouvoir. C’était une idée insupportable. « Si elle est en danger d’être capturée, dit-il durement, alors tu la tueras. »

J’en croyais à peine mes oreilles. Je le contemplai fixement, mais il esquiva mon regard. « Ce serait plus simple de la mettre en sûreté. Ne pourrait-elle aller à Glevum ?

— J’ai assez de soucis comme cela sans perdre mon temps à réfléchir à la sécurité des traîtres », répliqua-t-il d’un ton coupant. Durant quelques battements de cœur, Arthur parut plus en colère que je ne l’avais jamais vu, puis il secoua la tête et soupira. « Sais-tu qui j’envie ?

— Dis-le moi, Seigneur.

— Tewdric. »

Je ris. « Tewdric ! Tu voudrais devenir un moine constipé ?

— Il est heureux, il mène la vie qu’il avait toujours souhaitée. Je ne désire pas la tonsure et son Dieu ne m’intéresse pas, mais je l’envie tout de même. » Il fit la grimace. « Je m’épuise à préparer une guerre que personne, sauf moi, ne nous croit en mesure de gagner, et je ne veux rien de tout cela. Rien du tout ! Mordred devrait régner, nous avons juré de le faire roi, et si nous battons les Saxons, Derfel, je lui laisserai le pouvoir. » Il dit cela d’un air de défi, et je ne le crus pas. « Tout ce que j’ai jamais souhaité, c’est un manoir, un peu de terre, des troupeaux, des récoltes à la belle saison, du bois à brûler, une forge pour le travail du fer, un ruisseau pour l’eau. Est-ce trop demander ? » Il se permettait rarement un tel apitoiement sur lui-même et je laissai sa colère s’épuiser en paroles. Il avait souvent exprimé ce rêve d’une maison bien enclose de sa palissade, protégée du monde par des bois profonds et de vastes champs, et pleine de ses propres gens, mais maintenant que Cerdic et Aelle préparaient leurs lances, il devait savoir que c’était un rêve sans espoir. « Je ne peux pas tenir éternellement la Dumnonie et, quand nous aurons vaincu les Saxons, il sera peut-être temps de laisser d’autres hommes réfréner Mordred. Quant à moi, je suivrai Tewdric sur la voie du bonheur. » Il rassembla ses rênes. « Je ne peux pas penser à Guenièvre en ce moment, mais si elle est en danger, tu t’occuperas d’elle. » Et sur cet ordre cassant, il talonna sa monture et s’éloigna.

Je restai sur place. J’étais consterné, mais si j’avais réfléchi et repoussé le dégoût que m’inspiraient ses dernières paroles, j’aurais sûrement compris ce qu’il avait en tête. Il savait que je ne tuerais pas Guenièvre, et donc qu’elle était en sécurité, mais en me donnant cet ordre cruel, il n’était pas obligé de trahir ce qu’il lui restait d’affection pour elle. Odi at amo, excrucior.

Nous ne tuâmes rien ce matin-là.

 

*

 

Au cours de l’après-midi, les guerriers se rassemblèrent dans la salle du banquet. Mordred était assis, le dos voûté, dans le fauteuil qui lui servait de trône. Il ne contribuait pas au débat car c’était un roi sans royaume, cependant Arthur le traitait avec la courtoisie qui convenait. Il commença, en effet, par dire que lorsque les Saxons viendraient, Mordred chevaucherait avec lui, et que toute l’armée combattrait sous sa bannière, celle du dragon rouge. Le roi acquiesça d’un signe de tête, mais que pouvait-il faire d’autre ? En vérité, et nous le savions, Arthur ne lui offrait pas une occasion de rédimer sa réputation dans la bataille, mais s’assurait qu’il ne commettrait aucun méfait. La meilleure chance qu’aurait eue Mordred de regagner le pouvoir, c’était de conclure une alliance avec nos ennemis en s’offrant comme roi fantoche à Cerdic, mais au lieu de cela, il serait prisonnier des rudes guerriers d’Arthur.

Ce dernier nous confirma alors que Meurig ne participerait pas au combat. Cette nouvelle, qui n’avait rien d’une surprise, fut accueillie par un grondement de haine. Arthur fit taire les protestations. Ce roi était convaincu que la guerre à venir ne le concernait pas, nous expliqua-t-il, mais il avait tout de même accordé à Cuneglas et à Œngus le droit de traverser son royaume avec leurs armées. Arthur ne parla pas du désir qu’avait Meurig de gouverner la Dumnonie ; comme il espérait encore le voir changer d’avis, il ne voulait pas, par cette annonce, attiser notre haine pour le Gwent. Les forces du Powys et de la Démétie, dit Arthur, allaient converger vers Corinium ; cette cité romaine fortifiée serait notre quartier général et nous devions y concentrer toutes nos réserves. « Nous allons dès demain commencer à l’approvisionner. Je veux qu’elle regorge de nourriture, car c’est là que nous mènerons notre bataille. » Arthur fit une pause. « Une grande bataille où leurs forces rassemblées affronteront tous les hommes que nous pourrons lever.

— Un siège ? demanda Culhwch, surpris.

— Non. » Arthur expliqua qu’il avait l’intention de faire de Corinium un leurre. Les Saxons entendraient bientôt dire que nous remplissions la ville de viande salée, de poisson séché et de céréales et, comme toute grande horde en marche, ils se trouveraient bientôt à court de nourriture et seraient attirés par Corinium comme un renard par un poulailler ; c’est là qu’il prévoyait de les détruire. « Ils l’assiégeront et Morfans la défendra. » Celui-ci, déjà prévenu, acquiesça d’un signe de tête. « Mais le reste d’entre nous se tiendra dans les collines, au nord de la cité. Cerdic l’apprendra et, pour nous détruire, devra lever le siège. Alors, nous le combattrons sur le terrain de notre choix. »

Pour que ce plan réussisse, il fallait que les deux armées saxonnes descendent la Tamise, or tous les signes indiquaient que nos ennemis en avaient bien l’intention. Ils entassaient des provisions dans Londres et Pontes et ne faisaient nul préparatif sur la frontière sud. Culhwch, qui la gardait, avait mené des raids en Llœgyr, fort loin, et nous dit qu’il n’avait découvert aucune concentration de lanciers, aucun signe que Cerdic amassât des céréales ou de la viande à Venta ou dans une autre ville de la frontière. Tout indiquait un unique assaut, brutal et écrasant, dans la vallée de la Tamise, qui permettrait aux Saïs d’atteindre le rivage de la mer de Severn après une bataille décisive menée quelque part aux environs de Corinium. Les hommes de Sagramor avaient déjà préparé de grands feux d’alarme sur les collines de chaque côté du fleuve, et d’autres encore sur les monts qui s’étendaient au sud et à l’ouest, en Dumnonie, et quand nous verrions la fumée de ces feux, nous marcherions tous vers nos postes.

« Ce ne sera pas avant Beltain », dit Arthur. Ses espions, infiltrés dans les manoirs d’Aelle et de Cerdic, avaient tous rapporté que les Saxons attendraient, pour attaquer, d’avoir célébré la fête de leur déesse Eostre, qui avait lieu une semaine après Beltain. Ils désiraient sa bénédiction, expliqua Arthur, et voulaient laisser aux bateaux pleins de guerriers avides le temps de traverser la mer à la saison nouvelle.

Mais après la fête d’Eostre, ils nous envahiraient et Arthur les laisserait s’enfoncer profondément en Dumnonie sans leur livrer bataille, bien qu’il ait prévu de les harceler tout le long du chemin. Sagramor et ses lanciers endurcis se retireraient devant la horde saxonne, n’offrant qu’un minimum de résistance sans former de mur de boucliers, pendant que notre chef rassemblerait l’armée alliée à Corinium.

Culhwch et moi, nous reçûmes des ordres différents. Notre tâche était de défendre les collines au sud de la Tamise. Nous ne pouvions pas espérer vaincre un assaut saxon résolu qui les traverserait, mais Arthur ne s’attendait à rien de tel. Les Saxons, répétait-il, marcheraient vers l’ouest, toujours vers l’ouest, le long du fleuve, mais ils lanceraient forcément des razzias dans les collines pour se procurer des céréales et des bestiaux. Notre tâche serait d’arrêter ces raids, forçant ainsi les pillards à se retourner vers le nord. Les Saxons traverseraient la frontière du Gwent et cela pourrait pousser Meurig à leur déclarer la guerre. Ce qu’Arthur ne disait pas, mais que chacun de nous dans cette pièce enfumée savait déjà, c’était que, sans les lanciers bien entraînés du Gwent, la grande bataille qui se déroulerait près de Corinium serait un combat désespéré. « Alors combattez-les durement, nous dit Arthur, à Culhwch et à moi. Massacrez leur avant-garde, épouvantez-les, mais ne vous laissez pas engager dans une bataille rangée. Harcelez-les, effrayez-les, mais lorsqu’ils seront à une journée de marche de Corinium, laissez-les tranquilles et venez me rejoindre. » Arthur aurait besoin de toutes les lances qu’il pourrait rassembler pour mener cette grande bataille devant Corinium, et il semblait certain de pouvoir la gagner, à condition que nos forces occupent une position élevée.

Ce plan n’était pas mauvais. Les Saxons seraient attirés au cour de la Dumnonie et forcés de mener l’assaut sur les flancs escarpés d’une colline, mais cela ne marcherait que si l’ennemi faisait exactement ce qu’Arthur voulait, or Cerdic n’avait rien d’un homme complaisant. Cependant, notre chef semblait assez confiant et cela, du moins, nous réconfortait.

Nous rentrâmes chez nous. Je me rendis impopulaire en fouillant toutes les maisons de mon district et en réquisitionnant les céréales, la viande salée et le poisson séché. Nous laissâmes juste assez de provisions pour que les gens survivent et nous envoyâmes le reste à Corinium pour nourrir l’armée d’Arthur. C’était une tâche détestable car les paysans craignent encore plus la faim que les lanciers ennemis et nous devions trouver leurs cachettes et ignorer les cris des femmes qui nous traitaient de tyrans. Mais mieux valaient nos perquisitions, leur dis-je, que les ravages des Saxons.

Nous nous préparâmes aussi à la bataille. Je sortis mon équipement et mes esclaves huilèrent mon justaucorps de cuir, polirent ma cotte de mailles, démêlèrent le plumet en poils de loup de mon heaume et repeignirent l’étoile blanche sur mon lourd bouclier. La nouvelle année arriva avec les premiers chants des merles. Les grives draines lancèrent leurs appels du haut des mélèzes, derrière la colline de Dun Carie, et nous envoyâmes les enfants du village parcourir les pommeraies, armés de casseroles et de bâtons, afin d’effrayer les bouvreuils qui arracheraient les minuscules bourgeons. Les moineaux firent leurs nids et le ruisseau scintilla du retour des saumons. Les crépuscules résonnèrent du tintamarre des bergeronnettes. En quelques semaines, les coudriers fleurirent, les cônes tachetés d’or apparurent sur les saules, et les violettes des chiens émaillèrent les sous-bois. Les lièvres dansèrent dans les champs où jouaient les agneaux. En mars, les crapauds grouillèrent et je craignis ce qu’ils signifiaient, mais je ne pus questionner Merlin, car Nimue et lui avaient disparu et il semblait que nous serions forcés de combattre sans leur aide. Les alouettes chantèrent et les pies prédatrices cherchèrent les œufs fraîchement pondus dans les haies encore dépourvues du couvert de leur feuillage.

Les feuilles parurent enfin et, avec elles, les premiers guerriers du Powys. Ils n’étaient pas nombreux, car leur roi ne voulait pas épuiser les réserves de nourriture que l’on entassait à Corinium, mais leur arrivée annonçait l’armée plus importante que Cuneglas nous amènerait après Beltain. Le vêlage commença, on baratta le beurre et Ceinwyn s’affaira à nettoyer le manoir des fumées de ce long hiver.

Ce furent des jours étranges et doux-amers, avec cette promesse de guerre planant sur le renouveau d’un printemps soudain éclatant de cieux inondés de soleil et de prés colorés de fleurs. Les chrétiens parlent dans leurs prêches des « derniers jours », les temps précédant la fin du monde, et peut-être les gens se sentiront-ils alors comme nous, en ce doux et beau printemps. La vie quotidienne était empreinte d’une irréalité qui prêtait une importance exceptionnelle à la moindre petite tâche. C’était peut-être la dernière fois que nous brûlerions la paille hivernale de nos lits, la dernière fois que nous tirerions un veau tout couvert de sang de la matrice de sa mère pour l’amener au monde. Tout nous devenait cher car tout était menacé.

Nous savions aussi que le Beltain à venir pouvait être le dernier que nous connaîtrions jamais, aussi nous tentâmes de le rendre mémorable. Cette fête salue la vie de la nouvelle année, et la veille, nous laissâmes mourir tous les feux de Dun Caric. On cessa d’alimenter ceux de la cuisine, qui avaient brûlé tout l’hiver, et le soir, ils n’étaient plus que braises. On les éteignit en faisant tomber ces dernières, on balaya les âtres, puis on prépara les nouveaux feux, pendant que sur une colline, à l’est du village, on entassait deux grands tas de fagots, dont l’un fut empilé au pied de l’arbre sacré que Pyrlig, notre barde, avait choisi. C’était un jeune noisetier que nous avions coupé puis porté solennellement dans la rue du village et de l’autre côté du ruisseau, sur la colline. On y avait suspendu des lambeaux d’étoffe et toutes les maisons, comme le manoir lui-même, étaient parées de branches de jeunes noisetiers.

Cette nuit-là, dans toute la Bretagne, les feux étaient morts. À la Vigile de Beltain règnent les ténèbres. La fête eut lieu dans notre manoir, mais sans feu pour faire la cuisine, sans flammes pour éclairer les hauts chevrons. Il n’y avait de lumière nulle part, sauf dans les villes chrétiennes où les gens multipliaient les feux pour défier les Dieux, mais à la campagne, tout était obscur. Au crépuscule, nous avons gravi la colline, foule mêlée de villageois, de lanciers conduisant le bétail et de moutons qu’il fallait enfermer dans des enclos en clayonnage. Les enfants jouaient, mais une fois la grande obscurité tombée, les plus jeunes s’endormirent et leurs petits corps reposèrent dans l’herbe tandis que nous nous rassemblions  autour des tas  de bois pour chanter la Complainte d’Annwn.

Puis, au moment le plus sombre de la nuit, nous avons allumé le feu de la nouvelle année. Pyrlig fît naître la flamme en frottant deux bâtons pendant qu’Issa laissait tomber un à un sur les étincelles des copeaux de mélèze qui émirent une mince volute de fumée. Les deux hommes se penchèrent sur la minuscule flamme, soufflèrent dessus, ajoutèrent du petit bois et, enfin, une flamme vigoureuse jaillit ; nous entonnâmes tous le Chant de Bélénos pendant que Pyrlig transmettait le feu nouveau aux deux tas de fagots. Les enfants endormis se réveillèrent et coururent retrouver leurs parents tandis que les feux de Beltain dansaient hauts et clairs.

Lorsque les bûchers brûlèrent, on sacrifia un bouc. Ceinwyn, comme toujours, se détourna lorsqu’on trancha la gorge de la bête et que Pyrlig aspergea l’herbe de son sang. Il jeta le corps sur le feu où brûlait le coudrier sacré, puis les villageois allèrent chercher leur bétail et leurs chèvres et les firent passer entre les deux grands brasiers. Nous passâmes au cou des vaches des colliers de paille tressée, puis nous regardâmes les jeunes femmes danser entre les feux pour attirer la bénédiction des Dieux sur leur matrice. À Imbolc, elles avaient traversé les flammes en dansant, et recommençaient pour Beltain. C’était la première année où Morwenna était assez âgée pour le faire et je fus pris de tristesse en regardant ma fille tournoyer et sauter. Elle avait l’air si heureuse. Elle pensait au mariage et rêvait de bébés, pourtant dans quelques semaines, pensai-je, elle serait peut-être morte ou asservie. Cette pensée me remplit d’une immense colère, je me détournai de nos brasiers et fus surpris de voir les brillantes flammes d’autres feux de Beltain brûler au loin. Dans toute la Dumnonie, des bûchers s’embrasaient pour accueillir la nouvelle année.

Mes lanciers avaient apporté deux immenses chaudrons de fer au sommet de la colline et nous les remplîmes de bûches embrasées, puis nous nous empressâmes de redescendre avec les deux récipients d’où montaient des flammes. Une fois au village, nous distribuâmes le feu nouveau, les habitants de chaque chaumière prenant un brandon pour le déposer sur le bois qui attendait dans l’âtre. Nous gardâmes les derniers pour les environs du manoir. L’aube était proche et les villageois s’attroupèrent à l’intérieur de l’enclos pour attendre le soleil levant. Dès que nous vîmes son premier rayon lumineux, nous entonnâmes le joyeux hymne de la naissance de Lugh. Tournés vers l’est, nous chantâmes notre bienvenue au soleil ; à l’horizon, nous pouvions voir le sombre panache des fumées de Beltain s’élever dans le ciel qui pâlissait.

On s’affaira à la cuisine dès que le feu eut réchauffé les âtres. J’avais prévu un énorme festin pour le village, pensant que c’était peut-être notre dernier jour de bonheur avant longtemps. Les gens du peuple mangeaient rarement de la viande, mais pour ce Beltain-là, nous pûmes rôtir cinq daims, deux sangliers, trois cochons et six moutons ; nous avions des futailles d’hydromel fraîchement fermenté et dix paniers d’un pain cuit sur les anciens feux. Il y avait du fromage, des noix au miel, et des galettes d’avoine portant la croix de Beltain roussie sur leur croûte. Dans une semaine à peu près, les Saxons arriveraient, aussi c’était l’occasion d’offrir à nos gens un festin qui pourrait les aider à traverser les horreurs à venir.

Les villageois s’adonnèrent à des jeux pendant que la viande rôtissait. Il y eut des courses à pied, des assauts de lutte et une compétition pour voir qui soulèverait le poids le plus lourd. Les jeunes filles portaient des fleurs dans leurs cheveux et longtemps avant que les ripailles commencent, je vis des couples s’éloigner en douce. Nous mangeâmes dans l’après-midi, les poètes récitèrent leurs vers et les bardes du village chantèrent, et le succès de leurs compositions fut apprécié à la chaleur des applaudissements qu’elles remportaient. Je leur donnai à tous de l’or, même aux plus mauvais, et ceux-ci étaient nombreux. Il s’agissait surtout de jeunes gens qui déclamaient en rougissant des vers maladroits adressés à leurs amoureuses, et les jeunes filles prenaient un air gêné, alors les villageois lançaient des sarcasmes et riaient, puis exigeaient que chacune récompense son poète d’un baiser, et si celui-ci était trop bref, le couple était maintenu face à face jusqu’à ce qu’il s’embrasse convenablement. Plus nous buvions, plus la poésie s’améliorait.

Je bus beaucoup trop. En fait, nous festoyâmes bien et bûmes mieux encore. À un moment, le fermier le plus riche du village me défia à la lutte et la foule exigea que j’accepte ; aussi, déjà à moitié ivre, j’empoignai le cultivateur, il fit de même, et je pus sentir les relents d’hydromel de son haleine comme il put sans doute les sentir dans la mienne. Il faisait des efforts, moi aussi, mais nous n’arrivions ni l’un ni l’autre à nous ébranler, aussi nous restions là, tête contre tête comme deux cerfs affrontés, tandis que la foule se moquait du minable spectacle que nous lui offrions. Pour finir, je renversai mon adversaire, mais seulement parce qu’il était plus ivre que moi. Je bus encore plus, essayant, peut-être, d’oublier l’avenir.

À la tombée du jour, je me sentais nauséeux. Je me rendis à la plate-forme de combat que nous avions édifiée sur le rempart oriental et m’appuyai sur le haut du mur pour regarder l’horizon qui s’assombrissait. Deux minces volutes de fumée s’élevaient du sommet de la colline où nous avions allumé nos feux nouveaux, et mon esprit embrouillé par l’hydromel croyait y discerner une douzaine au moins de bûchers. Ceinwyn grimpa sur la plate-forme et rit à la vue de mon visage maussade : « Tu es ivre.

— Oui.

— Tu vas dormir comme un porc et ronfler de même.

— C’est Beltain », dis-je pour m’excuser, et je saluai de la main les lointains panaches de fumée.

Elle s’appuya sur le parapet, à côté de moi. Elle avait mis des fleurs de prunellier dans sa chevelure dorée et semblait plus belle que jamais. « Il faut parler de Gwydre à Arthur, dit-elle.

— Pour qu’il épouse Morwenna ? demandai-je, puis je fis une pause afin de rassembler mes pensées. Arthur semble si peu amical en ce moment, peut-être a-t-il dans l’idée de marier Gwydre à une autre jeune fille ?

— Peut-être, répondit calmement Ceinwyn, et dans ce cas, il faudra trouver quelqu’un d’autre pour Morwenna.

— Qui ?

— C’est exactement ce à quoi je veux que tu penses, quand tu seras plus sobre. Peut-être un des garçons de Culhwch ? » Elle regarda d’un air inquiet, dans l’ombre du soir, quelque chose au pied de la colline de Dun Caric. Il y avait des buissons enchevêtrés en bas du versant et elle avait repéré un couple très occupé sous les feuilles. « C’est Morfudd.

— Qui ?

— Morfudd, la fille de la laiterie. Un autre bébé va arriver, je suppose. Il est vraiment temps qu’elle se marie. » Elle soupira et contempla l’horizon. Elle resta silencieuse longtemps, puis fronça les sourcils. « Tu ne trouves pas qu’il y a plus de feux cette année que l’an passé ? »

Je regardai attentivement l’horizon pour lui obéir, mais, en toute franchise, je ne pouvais distinguer une traînée de fumée d’une autre. « Peut-être », dis-je évasivement.

Elle fronçait toujours les sourcils. « Ou peut-être, ce ne sont pas des feux de Beltain...

— Bien sûr que si ! m’écriai-je avec toute la certitude d’un homme ivre.

— Mais des feux d’alarme », poursuivit-elle.

Il me fallut quelques battements de cœur pour que la signification de ses paroles m’atteigne, et alors, elles me dessoûlèrent. J’avais mal au cœur, mais je n’étais plus du tout ivre. Je regardai fixement vers l’est. Une douzaine de panaches maculaient le ciel de leur fumée, mais deux d’entre eux étaient plus épais que les autres et bien trop gros pour être les restes des feux allumés la nuit d’avant, que l’on avait laissés mourir à l’aube.

Soudain, pris de nausée, je compris que Ceinwyn avait raison. Les Saxons n’avaient pas attendu leur fête d’Eostre, mais étaient arrivés à Beltain. Ils savaient que nous avions préparé des feux d’alarme, mais aussi que pour cette fête nous allumerions des brasiers rituels sur toutes les collines de Dumnonie, et ils avaient dû deviner que nous ne pourrions pas distinguer les premiers des seconds. Ils nous avaient roulés. Nous avions festoyé, nous nous étions soûlés à mort et pendant ce temps, les Saxons nous envahissaient. La Dumnonie était en guerre.

Excalibur
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